La désinformation est à l’ère de la société de l’information l’une des préoccupations majeures des pays démocratiques. Derrière la propagation de fausses nouvelles, ou fakes news, se cachent très souvent des stratégies visant à manipuler l’opinion publique et à affaiblir les États, les gouvernements et leurs institutions. Pour réaliser cet article, actu24.info a rencontré le Pr Ampère SIMO, enseignant de Droit des Médias, de nationalité camerounaise, résidant à Yaoundé, la capitale du Cameroun, qui nous a largement édifié sur le sujet.
Les fausses informations, les rumeurs et en général la désinformation représentent une sérieuse menace mondiale pour la liberté et la démocratie. Le phénomène s’est aujourd’hui accentué avec la multiplication des plateformes numériques qui décuplent la vitesse de propagation de fausses informations.
Le Pr Ampère SIMO est clair : « L’environnement numérique s’impose aujourd’hui comme un terrain fertile de transport et de diffusion pour la désinformation : des informations erronées, déformées et manipulées peuvent y être créées, diffusées et amplifiées à des fins politiques, idéologiques ou commerciales, à une échelle, une vitesse et une portée jamais vues auparavant. Les algorithmes, la publicité ciblée et la collecte de données sur les médias sociaux orientent les utilisateurs vers des contenus extrémistes qui alimentent et intensifient la désinformation, privant les individus de leur autonomie dans la sélection des informations et la formation de leurs propres opinions. Ainsi, entre information, intox et désinformation, le public, en raison du droit à l’information ne sait plus à quel saint se vouer ».
Selon lui, pour combattre la désinformation, l’on pourrait mettre à profit les bienfaits de la technologie pour faire progresser le développement et la démocratie en créant un partenariat entre les États, les entreprises, les acteurs du développement et la société civile, en vue de défendre les droits humains. Il est alors primordial d’encourager la coordination entre acteurs de premier plan : les entreprises technologiques, la société civile, les écoles de formations, les institutions universitaires, les organes et entreprises médiatiques.
Pour faire face au fléau, nombreux sont les États qui ont tenté de filtrer, de ralentir ou de bloquer le trafic des données numériques, et de clore des sites web. De nombreux autres ont adopté des textes répressifs sanctionnant les « fausses informations ». Non seulement ces mesures apparaissent disproportionnées et incompatibles avec le droit international relatif aux droits humains. De par l’effet dissuasif sur la diversité des sources d’information, elles empêchent les travaux d’investigation, alimentent les rumeurs, amplifient les perceptions erronées et sapent la confiance dans l’information publique.
Le Pr Ampère SIMO qui semble bien maitriser le sujet sur la lutte contre la désinformation poursuit ces propos en ces termes : « L’exemple le plus structuré vient de l’Europe où, pour lutter contre le phénomène, le Conseil européen a mis sur pieds en décembre 2018 un plan d’action pour une réponse coordonnée contre la désinformation. Parmi les mesures prévues dans le plan d’action européen contre la désinformation, il y a la création d’un système d’alerte rapide (SAR), avec la mise en place d’un réseau de contacts nationaux avec une totale implication des administrations étatiques. Lorsque ceux-ci détectent une campagne de désinformation, ils peuvent immédiatement lancer l’alerte sur une plateforme numérique spécialisée, qui facilite les échanges d’information entre les États membres et l’Union. Ce mécanisme, qui garantit la nécessaire coordination entre les partenaires européens, leur permet à la fois de surveiller les réseaux pour identifier les campagnes et autres actions de désinformation et, si nécessaire, de définir des ripostes communes ».
L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) s’est aussi engagée dans la lutte contre la désinformation. Elle considère le phénomène comme la matérialisation des nouvelles menaces hybrides. Pour ce faire, elle la place au cœur de sa stratégie de communication. Elle a, à cet effet, mis en place des programmes pour analyser les informations et déceler ainsi les tendances en matière de désinformation, ce qui lui permet de réagir plus rapidement et de développer des contenus spécifiques. La page « Mise au point », qu’elle publie sur son site web, en est une parfaite illustration.
Quoi qu’il en soit, nous révèle le Pr Ampère SIMO : « Nous pensons que la liberté d’expression est le moyen par excellence pouvant permettre de combattre la désinformation. À titre d’illustration, la confiance de l’opinion publique dans une action étatique controversée ne peut s’obtenir par la censure mais beaucoup plus en favorisant l’accès aux faits, à la bonne information et à un débat ouvert entre les médias, la société civile, les décideurs publics et les experts, lesquels exposent des points de vue divergents destinés à mettre à mal les contre-vérités et les théories complotistes ».
Pour y arriver, les États devraient faire preuve de plus de transparence dans la communication systématique des données et informations officielles et en veillant à ce que les institutions publiques et les responsables politiques ne diffusent ni ne relaient de fausses informations. L’expression des idées ne devrait pas être érigée en infraction pénale, hormis dans les cas correspondant aux violations de la loi encadrant les médias ou d’incitation à la violence ou à la haine. Toute restriction de la liberté d’expression devrait être en conformité avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme que sont la légalité, la nécessité, la proportionnalité et l’objectif légitime.
Au regard de la promotion des droits de l’homme à l’ère du numérique, Michelle BACHELET, Haute Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme déclarait dans son discours liminaire le 17 octobre 2019 à New York qu’il est crucial de se concentrer sur les droits de l’homme à l’ère du numérique: »Nous assistons déjà à une collecte des données à l’échelle industrielle. Les Etats, les partis politiques, les organisations et surtout les entreprises détiennent des informations remarquablement détaillées et puissantes à notre sujet. De plus en plus d’aspect de nos vies sont surveillés, stockés et utilisés en ligne, parfois à mauvais escient. Si on y réfléchit bien, nous tous qui sommes venus ici avec un smarthphone avons laissé des empreintes numériques menant tout droit à cette salle ».
En fait la technologie numérique offre de nombreux avantages. Sa valeur du point de vue des droits de l’homme et du développement est énorme. On peut se connecter et communiquer à travers la planète, le monde entier comme un coup de baguette magique, tout en favorisant l’autonomisation, la diffusion d’information et l’établissement de procédures d’enquête. C’est ainsi que des communications cryptées, des images satellites et des flux de données sont utilisés pour défendre et promouvoir les droits de l’homme. On peut même utiliser l’intelligence artificielle pour prédire les violations des droits de l’homme et y mettre un terme.
Les États devraient non seulement encourager la mise en place de systèmes d’informations publiques fiables, mais aussi promouvoir, la diversité, l’indépendance et le pluralisme des médias, tout en assurant la sécurité des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme.